Dumnezeu và ajutà et sanatate (santé), on
entend ça toute la journée.... Sanatate, Félicité semble encore en jouir
à part celle des dents qui est bien compromise et sans remède, et il y a
cette espèce de gaité qu'elle affiche (peut-être une force intérieure
extraordinaire ou alors une grande dureté envers elle-même)... Félicité
a environ 45 ans et elle a été élevée en orphelinat. La souffrance et
les privations sont sans doute pour elle une vieille habitude... Ce
premier contact avec la grande misère fut pour moi difficile mais je
devais découvrir bien pire...
Pire dans cette précarité extrême,
c'est bien quand la santé vous lâche... Je vous ai raconté à travers
l'exemple de Corina qu'une situation acceptable pour la Roumanie peut
devenir très critique au moindre pépin de santé, alors, vous imaginez
bien que cela devient de la haute voltige pour se soigner et survivre,
quand on devient malade et que l'on est au départ dans une situation à
l'extrême limite du supportable...
Mais laissons cela un moment.
Je vous entraîne dans l'une des folles journées de Francine.
A deux jours du départ pour la ballade en Roumanie, nous attaquons le
programme qu'elle a établi. De bon matin, nous avons rendez-vous (dans
la rue, on dirait des trafiquants) avec la comptable de la fondation spéranta qui nous remet les documents pour payer les charges des deux
salariées du centre de placement qui sont financés par l'association.
(L'une de ces deux personnes a démissionné, il faudra donc en recruter
une autre). Nous allons payer les charges à la trésorerie avec de
l'argent liquide car il n'y a pas d'autres moyens. Puis munies d'une
carte spéciale, nous allons créditer à l'aide d'un automate le compte
d'une jeune étudiante qui bénéficie d'un parrainage (100 euros par
mois).
Nous nous rendons ensuite chez une prof de math à la
retraite qui a donné des cours de soutien à des jeunes qui avaient des
examens à passer ou à repasser. C'est l'association qui s'est engagée à
payer ces cours et c'est une nouvelle occasion pour Francine de se
délester de quelques billets. Nous restons un moment chez cette dame
pour parler de ses élèves et de leurs performances en math, et d'autres
sujets autour d'un café, gourmand... dirons nous... Elle nous indique le
nom d'une personne qui pourrait convenir pour remplacer celle qui a
démissionné. Nous prenons congé. J'ai déjà fourni un sacré effort pour
capter ce qui s'est dit, encore qu'avec les enseignants ce soit moins
difficile qu'avec d'autres personnes... Ils ont en général une bonne
diction et parlent un roumain académique. Cap maintenant vers la
maison des A.
Maison est un bien grand mot pour décrire cette
masure en pleine pampa. Dehors beaucoup de bric à brac mais quand même
quelques fleurs dans des pots... Un peu de délicatesse et de beauté pour
tirer un pâle sourire à cette désolation... Terre, boue et neige en
hiver. Mme A. avance vers nous (Francine avertit toujours de son passage
: les gens ont des portables). C'est une femme encore jeune et non
dénuée de charme, si l'on passe vite sur ses problèmes dentaires....
Elle nous fait entrer.
Deux petites pièces pour abriter le père,
la mère, leur trois enfants Ionut, Florin, Anna de 13 15 et 17 ans, le
grand-père et la grand-mère (bunico et bunica), donc sept personnes.
Nous nous asseyons tant bien que mal. Ici aussi le mobilier est très
sommaire pour ne pas dire inexistant. Il n'y a quasiment aucun rangement
de sorte que les vêtements sont suspendus un peu n'importe comment
autour de la pièce. On a beaucoup de difficultés à se représenter
l'installation nocturne dans un espace aussi restreint quand on
aperçoit au plus un possible couchage... Pas de point d'eau, pas de
sanitaires, c'est bien évident.
Dumnezeu et ses représentants
sont bien là pour veiller sur ce dénuement.
Voici l'histoire.
Monsieur A. était aide-vétérinaire mais n'a pu conserver son emploi à
cause d'un grave problème cardiaque pour lequel il est probablement mal
soigné. Aujourd'hui, Monsieur A. qui ne peut plus travailler, n'a pu
faire valoir aucun droit à une pension après 24 ans de travail salarié
parce qu'il n'avait pas l'argent qu'il fallait donner au médecin chargé
de présenter son dossier en commission( bakchich très certainement). Mme
A a travaillé 10 mois dans un restaurant, durée insuffisante pour
bénéficier d'un allocation chômage (il faut 12 mois). Cette famille a
quand même la joie de recevoir son dû en allocations familiales (120 lei
soit même pas 30 euros) mais pas les bourses ni l'aide pour le transport
scolaire, on ne sait pas trop pourquoi (une enquête sociale qui n'a pas
été effectuée : bravo l'assistante sociale!). La pension de bunico et
bunica est d'un montant ridicule... Il y a donc putsin putsin...
Heureusement, la famille peut se nourrir grâce au système autarcique
qu'elle a mis en place : un jardin, des poules deux porcs par an, deux
vaches (du lait et un peu de fromage sont vendus à des voisins et deux
veaux : 2000 lei par an). Cela implique beaucoup de travail pour tous
les membres de la famille, y compris les enfants, étant donné les
capacités d'effort réduites de monsieur. Bunico est sans doute lui aussi
exclu de ces tâches car il souffre de séquelles pulmonaires graves du
travail qu'il exerçait à la mine de charbon.
La jeune Anna 17
ans, vient d'entrer dans la pièce. Elle est magnifique et impeccablement
mise dans des vêtements à la mode, contraste criant avec ceux, pauvres,
usés, et sans recherche que porte sa maman. J'ai la joie de pouvoir
entamer une conversation avec cette jeune personne qui me dit souhaiter
poursuivre ses études et s'en aller à l'université. Elle montre très
fière ses résultats scolaires à Francine et me donne quelques
renseignements sur le coût de la scolarité :
Transport scolaire :
100 lei par mois (peut être supérieur si l'on a plusieurs bus à
prendre). L'aide non versée serait de 42 lei par mois. Bourse : 60
lei par trimestre par enfant mais pas pour le troisième enfant.
Livres : gratuits à l'école primaire mais pas au lycée (environ 50 lei
par livre).
Francine intervient donc dans cette famille pour
permettre le bon déroulement de la scolarité des enfants en leur
allouant une aide mensuelle.
Et pour terminer voici quelques
nouvelles connaissances sur les us et coutumes en Roumanie glanées au
fil de la conversation. C'est ainsi que j'apprends que les morts sont
ensevelis dans les chapelles orthodoxes du fait du manque de place dans
les maisons et de l'absence de funérarium, que ce service est payant et
que, dans la même chapelle sont parfois alignés plusieurs de ces
défunts... (parfois une dizaine!), ce que tout le monde trouve indécent
sans qu'il n'existe d'autres alternatives. Que l'on peut garder son mort
dans son appartement quand on habite dans un bloc mais seulement si on
est au rez-de-chaussée, sinon c'est interdit... Tout cela parce qu'un
voisin de la famille A. est décédé et que Mme a eu envie de nous parler
de cette complication de plus en Roumanie. Elle peut donc encore évoquer
d'autres problèmes que ceux qui la concernent directement en ce
moment... C'est bon signe, non ?
La journée folle de Francine est
loin de se terminer sur cette visite dans la famille A., mais moi, je
suis fatiguée d'écrire.
Noapte bun.
Monique |