Lorsque j’ai annoncé à mon entourage que je partais en Roumanie pendant deux
mois, rares sont ceux qui ont compris ma démarche. Certains
m’ont même dit : « Oh moi, la Roumanie jamais !! Je te laisse ma
place ».
Eh bien, c’est à tous ceux qui « m’ont laissé leur
place » - et je les en remercie au passage - que ce rapport
s’adresse. Car la Roumanie ne mérite pas la mauvaise publicité
dont elle fait constamment l’objet. Je ne nie pas qu’il y ait de
nombreux problèmes dans ce pays mais je voudrais simplement
qu’on cesse de le stigmatiser de le réduire à Ceausescu,
Dracula, et aux Roms. C’est comme si nous disions que la France
c’est la Baguette, Sarkozy et les Banlieues ou l’Italie c’est
Berlusconi, la pizza et la mafia… Il n’y a rien de plus agaçant
surtout quand on a appris à connaître ce pays : la ROUMANIE
R comme Rêve d’ailleurs
Rêve d’ailleurs pour les Roumains, les Tsiganes si nombreux à
vouloir partir en bus Atlassib ou Eurolines vers l’Italie,
l’Espagne ou la France. C’est le cas de Iuliana, dont le mari
est mort et qui part chaque année travailler deux à trois mois
en Italie pour aider ses enfants et entretenir sa maison dans
laquelle elle nous a chaleureusement accueillis au mois de juin.
D’autres parents laissent aussi leurs jeunes enfants au pays
sans imaginer qu’ils ne les reverront jamais car ils se seront
suicidés entre temps. Ce désir d’évasion et cette détermination
à travailler à l’étranger ont d’ailleurs été salués par le
président de la République roumaine, M. Traian Basescu, lors
d’une récente interview sur la TVR1. Pourtant, comme me l’a dit
à juste titre une Roumaine à l’aéroport de Munich, « Si les
étrangers sont des Dieux en Roumanie, ils sont traités comme des
moins que rien chez vous ». Que dire de plus ! Elle a tellement
raison. Dans toutes les familles où je suis allée (et il y en a
eu !!!), j’ai été accueillie et servie comme une princesse ce
qui n’a pas été sans me mettre quelque peu mal à l’aise au
départ. Toutefois, je suis convaincue que peu de français aurait
été prêts à confier les clés de leur maison ou leur propre lit à
des étrangers qu’ils ne connaissaient absolument pas auparavant
!
O comme Oubli d’un lourd passé
S’il le régime communiste n’existe plus en Roumanie depuis vingt
ans, il a laissé des traces indélébiles. Je ne parle pas
seulement des blocs de Brad ou de Dej, des usines abandonnées
d’Hunedoara ou de Copsa Mica, des trottoirs de Timisoara, des
anciens kolkhozes sur la route de Baia de Cris… le communisme
s’est insinué également dans les mentalités. Rien de plus normal
quand on connait les souffrances que ce peuple a du endurer sous
cette période. Par exemple, la sœur gréco-catholique Pelaghia a
été arrêtée une nuit par la Securitate pour avoir porté un
chapelet et enfermée pendant six ans dans la prison de Sighet,
reconvertie depuis 1997 en Mémorial des victimes du communisme
et de la résistance anticommuniste. Cette sœur n’a pas pu se
laver pendant neuf mois et la nuit, comme elles étaient 18 par
cellule, elle était contrainte de se retourner si quelqu’un
bougeait. Et si par malheur, une ne le faisait pas alors c’est
qu’elle était morte de froid, de dénutrition ou des sévices
subis. On comprend aussi mieux cette époque à travers l’histoire
de Bouclette dont la famille a tout perdu lors de l’instauration
du régime communiste car elle était d’origine allemande. De
même, elle nous a raconté comment, la peur au ventre, elle
gérait les stocks de nourriture de l’orphelinat de Baia. Elle
nous a aussi parlé des longues files d’attente et du
rationnement. Cependant, l’une des choses qui m’a peut-être le
plus marquée c’est la curiosité des gens c'est-à-dire que tout
le monde « surveille » tout le monde. Voici l’exemple d’un
dialogue digne de « radio bloc » que j’ai eu avec une locataire
d’un de ces immeubles:
– Bonjour Mademoiselle ! D’où
venez-vous ?
– De France…
– Ah vous habitez chez Doamna
Francine (Comment le sait-elle ?...Certes, Francine est une
célébrité dans le coin). Elle est où ?
– Elle est partie à la
messe.
– Ah bon… et vous, vous n’y allez pas ?
– Non, vous
savez en France nous ne sommes plus très pratiquants …
– Vous
connaissez la nouvelle voisine ?
– Oui c’est une amie.
–
Mais elle est tsigane ?
– Oui (et alors ???)
– Qui paye
le loyer ? (Attention ne pas faire de boulette !!!).
–
Euhhhhhhhhhhhhh le mari travaille alors c’est lui qui paye !!
Elle m’a reposé trois fois la question et à demander la
confirmation à son voisin de palier. La nouvelle a du faire le
tour du quartier !
U comme Union européenne
Bien que je me sois spécialisée au cours de mes études sur le
processus de transition économique et politique des pays de
l’Est en vue de leurs adhésions à l’Union européenne, j’ai été
frappée par la différence qui existe entre la Hongrie et la
Roumanie. Il vous suffit de traverser la frontière pour vous
rendre compte du gouffre qui sépare ces deux pays. Dans le
premier, les champs sont cultivés mécaniquement, les usines
entretenues, les éoliennes sont nombreuses, des autoroutes
neuves. Dans le second, les champs sont en jachères, les foins
sont faits à la faux, les usines rejettent une fumée
orange/beige, routes sont « pleines de gropi » pleines de trous.
Je ne caricature que très légèrement. A quoi est due cette
différence ? L’entrée trois ans plus tôt de la Hongrie dans
l’Union européenne ? Possible mais je crois qu’il s’agit surtout
d’une différence culturelle car même au sein de la Roumanie, les
terres « des pays hongrois » sont plus « développées »,
travaillées que les autres régions.
Par ailleurs, il me
semble que l’Union européenne n’est pas aussi bien perçue qu’on
pourrait le penser. L’adhésion à l’UE a fait augmenter les prix,
les fonds débloqués par Bruxelles pour le développement des
infrastructures, des transports ne sont pas « absorbés » pour ne
pas dire qu’ils sont carrément détournés. D’où une nostalgie du
communisme chez certains roumains qui regrettent l’époque où ils
avaient un logement, un travail et qui ne voient pas les
avantages apportés par l’adhésion de la Roumanie à l’Union
européenne.
M comme Manque
d’argent
pour la plupart des Roumains, d’infrastructures,
d’administration efficaces, de personnels formés dans les
hôpitaux, les centres de placement, les maisons de retraite, de
logement salubres... Si les caisses sont vides en France, ici le
tiroir caisse a carrément disparu !!! La « crizã » est
omniprésente et les solutions qui sont proposées par le
gouvernement pour relancer la croissance n’épargnent guère les
plus pauvres. La TVA est passée au mois de juillet de 19 à 24%,
les pensions vont être réduites de 15% et les salaires publics
amputés d’un quart. Sans compter les réductions drastiques des
dépenses publiques en particulier celles des centres de
placement (orphelinats) dont le budget va être réduit de 20% (y
compris celui de la nourriture) ; une coupure qui, bizarrement,
ne touche pas les établissements pénitentiaires… Ainsi, dans de
telles conditions, comment les Roumains, qui éprouvaient déjà
des difficultés, peuvent-ils sortir la tête de l’eau ? Mais
surtout pourquoi n’ont-ils pas plus manifester ?
A comme Avenir
Je me suis
souvent demandé au cours de mon séjour à Baia ce que je serais
devenue si j’étais née en Roumanie, à Brad. Quel aurait été mon
avenir ? Peut-être aurais-je grandi au centre de placement, ou
peut-être aurais-je vécu dans un squat ou un bloc partageant ma
chambre, mon lit avec mes parents. J’aurais surement eu beaucoup
moins d’opportunités pour étudier et encore moins pour faire des
études qui m’intéressent vraiment. On dit « travaille bien à
l’école et tu auras un bon travail » mais ici les examens, les
concours, les entretiens d’embauche sont trop souvent « joués
d’avance ». Même si vous avez les meilleures notes, quelqu’un
qui a le bras long peut aisément passer devant vous...un comble
pour un pays dont le système scolaire fait l’éloge de la
méritocratie.
N comme Nourritures
Terrestres
Les sarmales,
les cascavals panés avec les cartofi prajiti, les cordons bleus,
la zacusca, les vinete, la tuica, la visinate et la quantité
surprenante de prajitura, de langosi, de gogosi que j’ai pu
gouter et qui étaient toujours excellents (sauf le pâté de
Sibiu, n’est-ce pas Jean-Baptiste !!!) Cependant, je n’ai pas
uniquement gouté aux spécialités locales. Grace à la nouvelle
gazinière, j’ai cuisiné (en talons) des petits plats avec mes
commis préférés Tiphaine et Dana qui se rappelleront surement
longtemps des pates, des lasagnes, des gâteaux et des quiches
que nous avons faits ensemble !
Spirituelles
En venant en Roumanie, je m’attendais à apprendre beaucoup
de la culture roumaine, à apprendre sur moi aussi mais je ne
pensais absolument pas enrichir mes connaissances en religion
(catholique, gréco-catholique et orthodoxe). Je ne croyais pas
non plus que je serais allée autant de fois à la messe. Pourtant
j’ai beaucoup apprécié les discussions avec Joska 1 et 2, Maté
et ses frères ou encore avec sœur Pelaghia et je sais maintenant
que c’est Lui qui a le programme !!!!
I comme Incroyable, Increvable et
Inoubliable
Le nombre de personnes, de choses, de villes
que j’ai pu découvrir grâce à Francine ! C’est bien simple nous
avons fait plus de 4 000 km ensemble à travers les Carpates, la
vallée de la Cris et les plaines hongroises. Sans oublier les
100 A/R Baia de Cris - Brad !!!! Incroyable : le dynamisme,
l’écoute, la gentillesse dont a fait preuve Francine tout au
long de ces deux mois ! C’est pour cela que je me suis sentie
incroyablement bien « à la maison » et que mon séjour restera
Inoubliable.
Enfin E comme Espoir d’un retour
prochain
J’espère revenir dans ce pays le plus vite
possible et que les Roumains ne se sentiront plus des européens
de seconde classe mais des citoyens européens à part entière.
Car, au fond, ils n’ont pas grand-chose à envier à nos sociétés
occidentales : Ce qu’ils gagneront chez nous en confort
matériel, ils le perdront en valeurs humaines…