Association Casa de Copii

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Baziège

La page de Camille 2008
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Camille

Etudiante à Paris

Je passe la frontière à huit heures du matin, après une nuit éprouvantable en car. Encore à moitié endormie, c'est à peine si je réalise que ça y est, je suis en Roumanie! Vite, j'envoie un message à mon cousin... car c'est en grande partie pour lui que je suis venue (il est lui même d'origine roumaine, mon oncle l'a adopté il y a quelques années). Je viens pour découvrir le milieu de son enfance.

Je ne m'attendais pas à être dépaysée à ce point ! Me voici comme remontée dans le temps, dans un décor qui pourrait être celui de la France dans les années 60-70 ! Fermettes délabrées par dizaines, portails rouillés, routes crevassées et boueuses, charrettes en bois... Au loin, de sinistres carcasses d'usines rappellent un passé proche douloureux.

Francine m'accueille à bras ouverts. Même si je ne suis restée qu'une dizaine de jours, j'ai beaucoup appris grâce à elle, qui m'a raconté son parcours passionnant et ses multiples expériences.
Elle m'explique que la première fois qu'elle est venue en Roumanie, dans les années 90, l'abandon s'était généralisé, banalisé, à cause de la politique de natalité du dirigeant communiste. Les orphelins étaient placés dans des conditions abominables -  je visionne une vidéo où on les voit hurlant de détresse dans des lits à barreaux de fer d'où ils ne sortent jamais, sans jamais personne pour les prendre dans leurs bras, les réconforter. 

Mon cousin n'a pas connu ça heureusement. Mais je prends conscience qu'être orphelin en Roumanie a longtemps voulu dire être non seulement abandonné de ses parents, mais aussi par la société entière. Tous ces enfants qui se balancent d'avant en arrière sans pouvoir s'arrêter, qui se frappent volontairement la tête contre les barreaux des lits, tous ceux-là ont fini en hôpitaux psychiatriques, rendus fous par l'inhumanité de leur condition. 

Aujourd'hui les établissements ont nettement évolué. Et pourtant on est encore souvent loin d'une prise en charge correcte des orphelins, qui privilégierait leur bien-être et leur évolution. J'ai pu visiter un orphelinat : perdu au milieu de nulle part, des pensionnaires au regard sauvage, qui ne connaissent pas grand chose de la chaleur humaine et de la vie extérieure. Ils ne sont pas accompagnés psychologiquement comme en France, il n'y a pas de formation prévue pour ça en Roumanie (cela fait d'ailleurs l'objet d'un projet de Francine). Je sors de là bouleversée. Il y a encore tellement à faire !

Dans cette même journée, je suis allée faire la connaissance du couple de Roumains qui accueillait régulièrement mon cousin lorsqu'il était petit. J'ai trouvé des gens adorables, qui m'ont profondément touchée. Ils m'apprennent qu'ils n'ont pas pu lui dire au revoir (le directeur de l'orphelinat a préféré ne pas les prévenir, craignant des complications), et avouent, les larmes aux yeux, qu'ils regrettent de ne pas l'avoir adopté. Mais à l'époque, ils pensaient qu'une vie en France offrait un meilleur départ dans la vie. Il leur aura fallu un an pour se remettre de son départ. Ils me prient de lui dire qu'il est le bienvenu chez eux, qu'ils aimeraient tant le revoir après toutes ces années ! Je les quitte, émue, en leur promettant de lui transmettre leur message. 

Francine m'emmène aussi dans les familles que Casa de Copii soutient financièrement, matériellement et moralement. Chaque semaine Francine et Mlle Bouclette visitent ces familles en grande détresse, et prennent le temps de les écouter parler de leurs difficultés, de leurs angoisses. Je vois aux regards de ces personnes et à la façon dont ils leur prennent les mains, à quel point cette présence affective leur est précieuse, indispensable. Ils vivent dans des immeubles qui tombent en ruine, la plupart dans une pièce qui sert à la fois de salon et chambre pour quatre ou cinq personnes. Des tapis recouvrent le sol en ciment. Ils vivent avec l'équivalent de 150 E par mois, alors qu'il en faudrait au moins le triple pour faire vivre décemment une famille. 

Les mères ont les traits creusés, certains enfants souffrent d'anémie, et ne vont pas à l'école les jours où il n'y pas assez pour leur préparer un casse-croûte. Dans le hall des immeubles sont affichés le montant des factures impayées devant le nom de chaque habitant. Plusieurs familles croulent sous les dettes, jusqu'à dix ans les attendent avant qu'ils aient enfin remboursé tous les crédits, occasionnés lors de fins de mois difficiles ou de l'installation sommaire de leur appartement. Ce qui est incroyable, c'est que ces sommes d'argent insurmontables pour eux apparaîtraient dérisoires en France. Les banques fleurissent depuis quelques temps dans le pays. On comprend pourquoi et surtout, sur le dos de qui. En allant échanger mes euros en rons, je vois l'impressionnante file formée par de pauvres gens pour les crédits. Et mon coeur se serre. 

Je tiens à rendre hommage au beau travail accompli par Francine, qui s'est engagée corps et âme dans son association. Il faut une sacrée dose de courage, de folie et surtout de générosité pour se lancer dans une telle aventure !! Je remercie aussi Mlle Bouclette, pour sa douce présence et sa disponibilité, et pour tout ce qu'elle m'a appris des dures conditions de l'époque communiste. J'admire la façon dont elle prend à coeur sa mission au sein de l'association. Je revois encore ces petits cahiers dans lesquels elle a passé des heures à recopier des manuels entiers afin de pouvoir suivre au mieux ses élèves du soutien scolaire.

Et voilà, déjà il me faut repartir. Les jours ont passé vite. Ça va être étrange de retourner à ma vie parisienne! J'ai l'impression que je m'apprête à reprendre ma machine à remonter dans le temps, mais dans l'autre sens cette fois. Les femmes aux foulards fleuris sur la tête, les sourires aux dents gâtées, les Tziganes sur leurs charrettes, les campagnes et les marchés d'antan... tout ça va me manquer. Il y a dans cette simplicité, une chaleur et une humanité que nos sociétés surdéveloppées ont tendance à perdre. Le passage à l'euro va être un sacré choc pour le peuple roumain. Et malheureusement la Roumanie risque bien, après avoir tellement souffert de la pénurie quotidienne, de tomber dans l'excès inverse : course effrénée à la consommation qui ne règle rien des inégalités sociales.

Merci à toi Francine, ces quelques jours à tes côtés m'ont beaucoup enrichie, c'était court mais tu m'as fait vivre beaucoup d'émotion et d'impressions fortes. J'en sors grandie, plus décidée que jamais à agir pour ceux qui n'ont pas la vie et la chance que j'ai. Ton parcours et ton choix de vie sont de beaux exemples. J'ai bien l'intention de revenir, avec mon cousin j'espère la prochaine fois ! 

Camille