« En Roumanie
tout est possible ! »
J’ai souvent entendu cette
expression dans la bouche de Francine et j’ai eu l’occasion moi aussi,
depuis un mois que je suis chez elle, d’apprécier ce qu’elle veut
dire. Francine nous accueille dans sa maison à Baia de Cris, un petit
village où elle est bien entourée : le père Eugénio (italien, son
premier voisin), Mr Dinca (président de l’asso en Roumanie), Melle
Bouclette (surnommée ainsi à cause de sa coiffure extraordinaire à base
de tresses et de boucles), Rodica (institutrice diplômée en psychologie
et secrétaire de l’ass) et puis Bobo (un jeune qui lui fait quelques
travaux).
Dès mon arrivée je suis partie
avec Francine 4 jours dans un monastère à Stenceni à côté de Toplita.
La mère Eliane, carmélite, a reçu des kilos de chocolats et
compléments alimentaires Nestlé qui seront redistribués dans les
maisons d’enfants de Brad et de Hunedoara, aux familles nécessiteuses
connues de Francine, et aussi des protections pour les personnes âgées
à Baia de Cris et Brad. Francine est connue, reconnue et appréciée du
personnel de ces établissements qui nous font visiter leurs locaux
rénovés, avec du personnel de plus en plus compétent. A la maison d’enfants
de Hunedoara nous portons des vêtements pour les bébés, car il y a un
accueil pour mères célibataires qui arrivent complètement démunies.
Les dons sont fort appréciés, le service administratif est très long,
il n’y a pas de photocopieur et le procès verbal doit être rédigé en
3 exemplaires, à la main, avec du carbone … mais avec du temps et de la
patience : tout est possible !
Toplita se trouve à 350km de Baia
de Cris, nous passons par Cluj-Napoca pour régler un problème avec la
banque (pas facile de retirer de l’argent ! les distributeurs sont
capricieux : ils valident les retraits mais ne donnent pas l’argent) et
nous rentrons par Brasov puis Sibiu. Les paysages du Maramures sont
magnifiques et verdoyants, la température avoisine les 37°. De nombreux
petits villages se dessinent au flanc des côteaux autour d’une église
prédominante et brillante de sa couverture de zinc. « DRUM BUN » ou «
BONNE ROUTE » le ton est ironique. Les routes sont défoncées et même
sans revêtement, cependant nous rencontrons de nombreux chantiers de
réparation. A certains endroits, les travaux publics s’affairent,
suivant la fréquentation du lieu : la venue d’un personnage important :
tout est possible ! La conduite est sportive, l’attention est la
qualité requise pour prendre le volant. Là encore tout est possible :
doubler sur la ligne continue, dans un virage, sans visibilité, sans
respecter les «sémaphores» … l’attention sera doublée de vigilance
quant à la vitesse, car nous pouvons croiser aussi bien une charrette
tirée par un cheval (transport de la famille au marché) ou bien par des
bœufs (pour les travaux des champs), mais aussi des centaines de Renault
18, des trabans et puis de superbes Mercédès qui déboulent comme des
bombes, les camions aussi roulent très vite. Les accidents sont très
meurtriers.
Pendant ce temps Maguy et Maria
Angèla ont mis de l’ordre dans les affaires scolaires que nous avons
également distribuées aux familles. J’ai rencontré les enfants qui
participent aux ateliers d’animation organisés par « Casa de Copii »
dans une salle de l’école de Brad. Nous avons fait des cerfs volants,
du tissage des bracelets et différents jeux de société. Les enfants
sont très demandeurs et affectueux, s’émerveillent facilement. Je
regrette de ne pouvoir communiquer davantage avec eux. Ils apprennent le
français beaucoup plus vite que nous le roumain, Melle Bouclette nous
sert d’interprète et « tout est possible ». Les animatrices
roumaines, Marion et Daciana parrainées par des familles françaises,
depuis leur entrée en faculté, sont très intéressées par les
nouveautés. Elles participent bénévolement aux animations de l’été.
Les échanges sont fructueux.
Bernard Dagou (président de l’association),
sa femme Christiane, leur fille Pauline et Pascaline Ducatez sont
arrivés. Francine a réuni tous les membres de l’association « speranta
31 » : le directeur de l’école, les institutrices, les animatrices,
les enfants et les parents. J’ai apprécié le travail réalisé sur le
terrain, grâce à la motivation de Francine ici sur place, à travers le
discours des institutrices qui participent pendant le mois de juillet à l’animation
faite par les bénévoles accueillis à Baia de Cris. Les institutrices
remercient les échanges occasionnés par les activités proposées par
les animatrices françaises et profitent ainsi de leur savoir-faire. Leur
formation ne comprend pas de travaux manuels d’éveil. Les enfants s’expriment
également et sont ravis d’occuper leur temps à du loisir éducatif. Le
directeur de l’école est enchanté du partenariat. Les institutrices
présentes font aussi du soutien scolaire pendant l’année, l’après
midi, car les cours se terminent entre 12h et 13h suivant les classes
Elles sont satisfaites d’améliorer ainsi leur salaire et de permettrent
aux enfants de rattraper leur retard. Le salaire d’une institutrice qui
a 10 ans d’ancienneté est de 150 euros. Depuis sa création l’association
compte 15 parrainages d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes
qui sont aidés pour leurs études. La réunion se termine autour d’une
petite collation.
Le fait que Francine réside sur
place lui a permis de résoudre quelques situations délicates. On a
entendu parler d’elle et on vient frapper à sa porte. « Une goutte d’eau
dans un océan » dira-t-on. Mais dans ce pays où les mesures sociales
sont quasiment inexistantes, on accepte l’aide de l’association
française. Nous sommes un lundi du mois de juillet, nous circulons en
voiture, nous allons faire des courses. Mais que font tous ces gens en
file indienne devant la pharmacie ? C’est seulement les cinq premiers
jours du mois que les médicaments sont vendus à prix réduits, les gens
font la queue devant les pharmacies, si le crédit est épuisé l’accueil
peut durer moins de 5 jours, nous répond Francine.
A la campagne les gens se portent
mieux et se nourrissent des produits du jardin, de leur vache et de la
basse-cour. Dans les blocs, souvent insalubres, il manque l’eau chaude,
le chauffage ou bien l’électricité, si les factures ne sont pas
payées c’est la coupure…. Les bâtiments se dégradent. Le chauffage
est encore collectif, les gens coupent les radiateurs pour moins payer car
les factures ne sont pas proportionnelles aux revenus. Il y a une
population tzigane qui part « faire fortune » et qui revient faire
construire des palais, d’autres vivent au quotidien dans les rues et
attendent la moindre occasion pour mendier, ou dans des huttes en
plastique dans la forêt.
C’est avec beaucoup de
convictions que Francine s’est engagée avec Médecin du monde, il y a
15 ans, pour aider le département très pauvre de Hunedoara et qu’elle
y a élu domicile à l’âge de la retraite. Elle a défendu la causes
des enfants maltraités et a dénoncé la maltraitance. Elle a aujourd’hui
66 ans, elle passe 8 mois de l’année en Roumanie, où elle continue, en
compagnie de ses amis George et Corina, Marinella et Stephanel, Joseph et
Cathy, Bouclette et Rodica, les "bunica et bunicu" et ceux que
je ne connais pas, d’apporter son soutien. C’est avec grand plaisir
que j’ai fait la connaissance des ces gens pleins d’entrain et de
bonne humeur. Il faudrait avoir conscience de ce qu’ils ont souffert
pour apprécier leur joie de vivre. J’ai pris beaucoup de recul par
rapport à ma situation personnelle. Francine est appréciée et reconnue,
on l’appelle « Damna Francine » par respect pour son travail (en
dévouement et en détermination) et aussi parce que la langue roumaine
dans sa subtilité veut que les gens s’adressent ainsi. Elle ne dépose
pas seulement un colis alimentaire ou une couverture, elle téléphone,
elle rend visite, elle s’assoie, elle discute en roumain biensûr (un
roumain bien à elle que les roumains comprennent). Elle accompagne les
familles dans leurs démarches jusqu’à l’aboutissement. C’est avec
enthousiasme que nous proposons à Rodica de partir avec nous, retrouver
sa mère qu’elle n’a pas vue depuis 6 ans, et permettre à la famille
de régler un problème d’héritage et bénéficier des aides de l’état
(le père subit un lourd handicap).
Nous avons prévu de partir en
excursion avec Bernard et sa famille, Francine veut nous montrer les
trésors de la Roumanie, nous emmenons Rodica pour la déposer chez sa
mère dans un petit village à 10km de la frontière de l’Ukraine. Nous
avons traversé la Transylvanie, le Maramures, la Bucovine et la Moldavie.
Nous avons visité une ancienne prison du temps du régime communiste
transformée en musée à Sighetu, le cimetière de la joie à Sapinta, le
lavoir de tapis à Vadu Izei, les bains d’eau de source salée à Ocna,
la vallée de l’Iza et les montagnes recouvertes de sapins (brad), les
monastères de Voronet, Moldovita et Sucevita avec les explications de sœur
Tatiana sur les peintures bibliques qui recouvrent les murs. Nous avons
laissé Rodica chez sa mère elles vont revenir à Brad avec l’autobus,
il leur faudra 2 jours de voyage avec des heures d’attente dans une
gare, les correspondances sont longues. Nous continuons notre visite par
le monastère de Stenceni (mère Eliane est installée depuis 15 ans dans
le but de réconcilier les courants religieux ) nous emmenons une chaise
percée pour les besoins de MrRata. Nous continuons par la mine de sel de
Praid, le village des artisans à Curund, la ville fortifiée de
Sighisoara, la ville de Brasov, Sacèle et « Carrefour »... Notre
randonnée se termine par une visite à Rodica qui est de retour dans sa
famille, a pris le rendez-vous avec le notaire et nous déposons la
chaise. La semaine suivante les formalités accomplies, la «bunica»
rentrera chez elle, la famille se confond en remerciements et en « Damna
Francine ».
Nous sommes le 11 septembre, nous
allons fêter les anniversaires de Daniela, Eunice Bibi et Tomas leur
papa. Ils vivent tous les 4, la maman a quitté le domicile. Devant le
courage et la ténacité de ses filles, je décide à mon tour de faire un
parrainage pour aider aux dépenses scolaires. Le coût de la vie n’est
pas en rapport avec le revenu des familles, l’argent est dépensé pour
les frais de premières nécessités au dépend des fournitures scolaires.
La vivacité et la motivation de ces filles méritent un petit coup de
main !
J’ai rencontré des gens
formidables, courageux, chaleureux et conviviaux. Bienvenue dans l’Union
Européenne. Tout est encore possible ! Mon séjour se termine, au revoir
à tous et à l’année prochaine.
Je remercie Francine pour son
accueil chaleureux et son franc parler, merci à Maguy de m’avoir
accompagnée jusqu’ici.
Nadine