ça
y est, nous sommes vendredi 29 juillet, nous avons quitté hier le centre
d'Hunedoara (centre accueillant des enfants handicapés), en laissant derrière
nous tous les enfants, chacun touchant à sa manière, plus ou moins agité,
plus ou moins attaché à nous.
Ces trois semaines auront été
tellement riches au niveau émotionnel qu'il est difficile de relater cette
expérience si brièvement sur papier, d'autant plus que nous sommes " à
vif " et donc que la prise de recul nous est encore impossible. Pendant un
an, on s'est investis avec volonté et cœur pour réaliser ce projet qui, je
l'espère, aura été autant bénéfique pour les enfants que pour moi-même.
Dès notre arrivée dans le centre, nous
nous sommes senties " dans le bain " : le personnel n'étant pas au
courant de notre venue, l'accueil n'a pas été aussi chaleureux que ce que l'on
aurait pu imaginer en quittant les quatre autres aporiennes de Simeria Vech…
De plus, l'environnement dans lequel se
trouve le centre n'est pas particulièrement propice à la détente et à la
décontraction ! En effet, le centre se trouve au milieu d'HLM dégradés dans
lesquels vit une population très pauvre et inactive.
Dans cette ambiance peu encourageante,
j'avoue avoir quelque peu redouté la première rencontre avec les enfants…
Ces enfants et adolescents, dont nous ne pouvons imaginer l'atrocité du vécu
nous ont montré dès la première minute combien ils sont en demande
d'affection, ou au moins d'attention. Un simple sourire, un coucou de la main et
déjà leur bouille s'éclaire ! Nous avons trouvé des enfants dans la
relation, qui cherchent le contact et la communication avec l'autre, et ravis
des activités proposées. Chaque enfant, avec les difficultés, les déficits,
les besoins mais aussi les capacités et les habiletés qui le caractérisent
m'a tour à tour étonnée, attendrie, touchée, parfois même agacée, soyons
honnêtes ! Mais chacun à sa manière m'a beaucoup apporté et beaucoup appris.
De plus, le fait d'utiliser essentiellement des gestes pour communiquer permet
de faire passer des messages bien au-delà de la puissance des mots… Des
regards, des mimiques qui ne trompent pas : des mercis et de la tendresse plein
les yeux, ils nous auront vraiment fait craquer jusqu'au bout !
Mais dans ces regards si expressifs,
j'ai également pu déceler de la détresse et de la crainte, ce qui ne fait que
renforcer la colère que j'éprouve face à certains événements difficiles à
admettre dont nous avons été témoins. Là, les sentiments se mêlent :
colère, mais aussi dégoût, révolte et impuissance.
Tout cela conduit au doute : comment du
haut de mes 21 ans, j'aurais la moindre petite chance de faire évoluer, ou du
moins faire prendre conscience de la situation dans laquelle évoluent ces
" pitchounes " ? Comment va-t-on pouvoir laisser ces enfants après
avoir vu tout ce qu'ils endurent au quotidien ? Des éducateurs peu
attentionnés, voire même bien pires, qui ont l'audace de faire semblant de
s'intéresser à ces pauvres gamins quand la directrice adjointe de la DDASS
" débarque "… Comment accepter l'intolérable ? Comment peut-on se
désintéresser d'une personne au point de le considérer comme un animal ? D'un
point de vue simplement humain, ou moral, voir même éthique, comment peut-on
faire subir tout cela à un enfant ? Cela va bien au-delà de l'absence de
formation dont je suis consciente, et qui explique le peu de connaissances des
éducateurs quant aux pathologies dont souffrent les enfants. En tout cas,
l'hypocrisie que nous avons pu constater semble quant à elle bien maîtrisée
par la plupart des membres de l'équipe… Comment pouvons-nous essayer de faire
évoluer les choses alors que la base même de ce que nous souhaiterions mettre
en place, c'est-à-dire l'amour (ou du moins l'intérêt) pour les enfants
manque ? Comment faire bouger les choses alors que les éducateurs n'ont aucune
motivation pour leur travail ? Comment faire alors que c'est leur mentalité
qu'il faudrait faire évoluer ?
Heureusement, les week-ends passés à
Baïa De Cris auprès de Francine et Renata nous ont permis d'évacuer la
pression accumulée pendant la semaine et de parler de ce nous voyions dans les
centres. Je tiens à les remercier tout particulièrement et très sincèrement
pour leur soutien, leur écoute et leur compréhension.
Enfin, malgré le pessimisme apparent de
ce compte-rendu, je souhaiterai insister à nouveau sur la richesse de cette
expérience roumaine. En effet, les difficultés auxquelles nous avons pu être
confrontées, en particulier dans les centres, nous ont permis de renforcer les
liens existant entre nous et d'accéder à une véritable cohésion de
groupe.
Par ailleurs, je n'ai pu que constater
combien j'ai pu m'attacher aux enfants d'Hunedoara. Il m'est difficile
d'expliquer ce que j'ai éprouvé en les voyant contre la grille au moment de
notre départ, dernière image du centre dans lequel nous aurons connu tellement
d'événements.
Même si je ne peux pas savoir ce que
l'avenir me réserve, j'espère de tout cœur pouvoir revenir un jour en
Roumanie. J'encourage d'ailleurs vivement chaque personne qui sent en lui
l'envie de donner un peu de son temps à des gens en souffrance à venir dans ce
joli pays, car j'ose imaginer que chacun peut désirer faire bouger les choses
pour davantage d'égalité.
J'espère avoir à ma manière
contribué au bien-être de ces enfants pendant ces trois semaines et que la
motivation des futures filles d'APOR leur permettra de vivre des moments aussi
forts.
Claire.